Toutes les natures se cultivent ! Du Jardin d’Art au Jardinage des Talents.
Une réflexion proposée par SENZEÔ ART autour d’un échange de vues de nos experts de l'Art et de l'Entreprise : François Legendre historien d'art - sémiologue et Marc Fourcade - Développement des Hauts Potentiels & Human Intelligence Dynamics, à l'occasion de l'exposition "Jardins" au Grand Palais à Paris du 15 mars au 24 juillet 2017.
C'est aussi un thème idéal pour illustrer l'approche originale de SENZEÔ ART sur les bénéfices d'une fertilisation croisée du génie de l'art et du génie de l'entreprise.
François Legendre : Quelle étrange idée de présenter une exposition sur les jardins entre les murs d'un musée ! De faire entrer un lieu vivant, ouvert au ciel, au soleil et à la pluie, sous les voûtes majestueuses du Grand Palais. Mais quand on y songe, le jardin, et surtout en Occident, ne se conçoit-il pas – avec ses fontaines, ses pavillons, ses statues – comme un musée, littéralement un palais des Muses, à ciel ouvert ? Et plus encore, une œuvre d'art totale qui se pense comme un miroir du monde ? C'est le pari de cette exposition, scénographiée à la manière d'un jardin à surprises, que d'interroger les résonances multiples entre l'art des jardins, particulièrement dans le domaine français de la Renaissance à nos jours, et le champ des arts plastiques à travers la peinture, la sculpture, la photographie et la vidéo.
S'il fallait définir notre objet du point de vue de l'histoire de l'art, je dirais que le jardin est d'abord un lieu du vivant, fruit de l'imagination des hommes. C'est un lopin de terre, un morceau de ciel, sur et sous lequel l'homme fait jouer les lois de la nature pour son agrément. C'est de l'espace et du temps captés par les nécessités de l'art. L'espace d'un bois, d'une colline ou d'une prairie, le temps des saisons qui commande la croissance, le bourgeonnement, la floraison, la fructification, la caducité ou la persistance des feuillages.
Et tout ceci n'est possible qu'avec de la pensée, du travail et de la patience; cette co-production si particulière entre l'homme et la nature qu'on appelle le jardinage.
Marc Fourcade : Le jardin est une entreprise et l’entreprise est aussi un jardin, un espace vivant que façonne la pensée de l’homme jusqu’à Newton et sa pomme. La nature enseigne à l’homme l’art de la vie. Le jardin c’est le temps du trajet de la graine au fruit. Qui comprend la graine connaîtra le fruit. “Le jardin, c'est de la philosophie rendue visible.” nous dit Erik Orsenna ! Il en va de même pour nos organisations, c’est le jardin des âmes, là où elles plantent leurs idées, en font des bouquets et les vendent au marché.
Considérons un instant l’entreprise comme un espace/temps où les talents peuvent éclore dès lors qu’on les jardine, qu’on en prend soin avec empathie et respect. Le jardinier dessine son paysage avec cette nature docile dès lors qu’il la respecte dans sa diversité. Il ne soigne pas la jacinthe comme la tomate, il donne l’espace et le temps à chaque plante d’exprimer pleinement ce qu’elle est, choisir sa couleur et sa forme en fractales infinies.
FL : Oui, c'est bien là l'enjeu : le jardin est quelque chose que nous portons en nous, un récit intime que nous prolongeons au monde. Les Italiens de la Renaissance avaient même inventé un lieu pour ça : le giardino segreto, le jardin secret offert à la pensée ou à la rêverie, enchâssé dans le jardin destiné aux réceptions du prince.
Et nous touchons là une dimension essentielle : le jardin avec ses fabriques, ses géométries, ses jeux d'eau, ses statues et tout ce qu'elles racontent de la poésie des Anciens, ses paysages inventés par l'esprit et conçus pour la délectation ou la méditation, n'est pas une entité naturelle ; c'est, par excellence, le lieu de l'artifice (et souvent même de l'ingénierie, de l'expérimentation botanique). L'objet du jardin, ce n'est pas la nature, c'est l'homme dans sa compréhension affinée de l’Univers.
MF : Les entreprises humaines sont des amalgames d’univers uniques. Chaque personne est un univers incomparable, avec son ADN physique et mental, sa "raison d’être" et son idéal. "Le jardinage des talents" dans cet univers particulier qu'est l’entreprise, nous enjoint d’intégrer cette différence essentielle entre les êtres et de composer avec les mécanismes subtils qui sont à l’œuvre. Au jardin, les forces naturelles, l’eau, l’air, le feu, la terre et le temps s’allient ou se séparent dans l’entropie des saisons. Le jardinier de talents sélectionne la semence la plus prometteuse, le terrain le plus fertile, le moment propice et prodigue les soins qui protègent, les fertilisants qui encouragent le talent à s’épanouir.
Tout le monde a du talent dans l’entreprise mais tout le monde ne le sait pas. Le premier pas est la prise de conscience de qui on est et pourquoi on est là. Un talent, c’est quelqu’un qui sait qui il est, où il va et qui a l’oeil qui brille !
FL : On peut penser à cette citation de Michel Foucault autour de laquelle se structure l'exposition du Grand Palais : "Le jardin c'est la plus petite parcelle du monde et puis c'est la totalité du monde." Les jardins sont des condensés de nos expériences, "des pays d'illusion" comme l'écrivait si joliment Baltrušaitis, qui me font songer aux lacs creusés des jardins chinois dont on faisait des collines à l'échelle du paysage. Comme si le jardin était une réinvention du monde par l'esprit de l'homme, une projection de notre désir d'harmonie dans l'espace et le temps, l'inscription de tout ce qui est vivant en nous dans le tout vivant de la nature.
MF : Dans le vivant des gens talentueux il y a des exigences esthétiques et éthiques. Ils n’aiment pas vraiment les demi-mesures, les arrangements à la baisse, la routine et le banal. Il leur faut de la nouveauté, des challenges et le sentiment de progrès. Leur rapport au temps et à l’espace est très personnel. Au jardin on ne sème pas le radis comme on plante la noix. Ils n’ont pas les mêmes exigences de territoire et de durée. Au jardin des hauts potentiels, les fertilisants naturels les plus efficaces sont au nombre de quatre : La fierté d’être, le plaisir de faire, le pouvoir de progresser, la juste reconnaissance de sa contribution.
Là est le défi majeur des modèles de développement organisationnels qui doivent trouver la plasticité et la souplesse nécessaires pour permettre à chacun de s’épanouir à son rythme, avec sa différence, sans jamais mettre en danger la cohérence de l’organisation.
Á cet endroit, la métaphore du jardin et de la culture des talents prend un sens nouveau. Il est intéressant de mettre en regard les jardins "à la française" nés en pleine montée cartésienne et les jardins "à l’anglaise" intuitifs et libres, accueillants à la contemplation et à la rêverie. Les premiers guident le regard et lui imposent son chemin dans une stratégie très planifiée. Vision enfermante et structurée pour le promeneur dans une nature contrainte dont il ne découvre le dessin et le dessein… que quand il en sort. Les seconds laissent la nature "faire sa poète". Des petits kiosques où nous attendent les muses, notre oeil embrasse des paysages insolites, attirants, mystérieux qui créent l’envie d’aller voir plus loin, voir si le rêve est bien là. L’esprit des jardins nous informe sur la culture qui les a conçus et les modèles de développement organisationnels qu’elle a adopté pour croître et multiplier.
C’est là tout l’enjeu de l’ingénierie culturelle telle que nous la concevons pour que notre vision et notre action fassent sens.